Dateline : Sesen – épisode 6

Le Sensationnalisme Fait-il Obstacle au Véritable Journalisme ? Numéro Spécial : New United Exposé.

Même les passereaux picoreront nos yeux si leur nid est menacé. Yadav n’eut pas le temps de réfléchir à la menace qu’elle pouvait bien représenter pour le nid de quiconque. L’instant d’après la porte vola vers l’intérieur et le gouverneur se glissa à travers.

« Permettez-moi de vous présenter un membre du cabinet et mon proche conseiller, Wei Martinez, » déclara le gouverneur en désignant l’homme derrière elle.

Les cheveux noirs et raides de Martinez tombaient sur ses épaules et une fine moustache était perchée au-dessus de ses lèvres comme une chenille huilée. En entrant, il prit un soin particulier à lisser et boutonner la veste de son costume fort bien taillé. S’il avait porté une cravate, Yadav était sûre qu’il en aurait resserré le nœud. À sa ceinture se trouvait un étui contenant une arme de poing cinétique.

Yadav observa le pistolet avec méfiance.

« Je suis le Gouverneur Tentopet Jones. Et vos codes d’identification disent que vous êtes… ? » Elle et Martinez croisèrent tous deux les bras, dans l’expectative.

Sous le regard de Jones, Yadav se sentait un peu comme une jeune enfant dans le bureau du proviseur. Mais le visage de Martinez lui donnait des frissons de cimetière.

« Je suis Ulla Yadav, » dit-elle sans hésiter, levant son tatouage de presse. « De New United. »

Jones acquiesça de la tête, satisfaite.

« Vous avez illégalement atterri sur notre planète, » brisa Martinez. « Aucun laissez-passer ni autorisation ne vous ont été accordés. Votre vaisseau a été détruit. Quand et comment avez-vous l’intention de quitter le système ? »

« Est-ce important ? » Demanda Yadav.

Son regard s’étrécit. « Oui. »

Leurs analyses médicales n’avaient même pas repéré l’émetteur logé dans ses intestins. Dans quel siècle ces personnes vivaient-elles ?

« Pourquoi ne m’expulsez-vous pas ? » Demanda t-elle.

« Nous n’avons pas de ressources à gaspiller », déclara Jones avec douceur. « Quelqu’un sait que vous êtes ici ? »

Yadav évaluait attentivement le ton et le timbre de la question de Jones. La réponse était incertaine – peut-être tout New United, peut-être personne. Il était impossible de dire si quelqu’un avait repris leur piste ou non, d’autant plus qu’elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé depuis l’accident. Mais ce n’était pas important. Yadav devait leur répondre, et en particulier à ce Martinez, exactement ce qu’il fallait qu’ils entendent.

« J’ai un contact hors système », affirma-t-elle. « Il est toute ouïe. Il sait qu’il doit alerter la compagnie s’il n’entend pas de mes nouvelles toutes les quarante-huit heures. »

Martinez laissa échapper un « Ah » agacé. Était-ce parce qu’il ne la croyait pas ou parce qu’il n’avait pas envie de la croire ? Yadav ne pouvait en être sûre.

« Pourquoi mon collègue est-il mort ? » Lâcha-t-elle.

Jones ne répondit pas tout de suite. Elle semblait chercher les mots justes. « Nous étions incapables de le sauver. Je suis désolée. Je ne sais pas ce que vous avez aperçu depuis la navette médicale, mais nous ne sommes pas une société opulente. Nos capacités se sont avérées insuffisantes. »

« Mais à première vue, elles ne semblaient pas insuffisantes », déclara Yadav. Elle avait besoin de se faire une idée de la dynamique politique en jeu. Quel genre de leader était exactement cette T’es-Trop-Bête Jones ? « La ville en bas de la colline est en ruines, mais vous avez essayé de construire en haut quelque chose d’imposant et de moderne. Vous avez une belle petite enceinte privée ici, n’est-ce pas ? »
Martinez la regardait comme s’il pouvait s’en prendre à elle à tout moment. De son corps émanaient des effluves de frustration comme une mauvaise Eau de Cologne. « Où voulez-vous en venir ? »

« Vous ne semblez pas avoir beaucoup pour travailler, mais vous avez certainement fait de votre mieux pour donner l’impression que vous étiez pleins aux as. »

« Cela fait croire au public que la prospérité est à portée de main, » dit Jones. « S’ils connaissaient la vérité, que même leur gouvernement n’a pas la moindre richesse, ils seraient au désespoir. »

Yadav se moqua ouvertement. Les seigneurs de guerre et autres pseudo-empereurs adoraient leurs hautes tours et leurs palais dorés. Ce genre de biens étaient autant d’étalages de pouvoir permettant de garder le peuple à sa place. Ils soulignaient le gouffre infranchissable entre oppresseurs et opprimés. Ils rendaient les gens faibles, incapables.

Yadav fut surprise que Jones tente de proclamer que leurs constructions fassent rien de moins qu’inspirer la confiance.

Le gouverneur s’assit en face de la journaliste et se pencha. « Wei et moi sommes cousins », dit-elle en désignant Martinez, qui roula des yeux. « Là d’où nous venons, personne n’avait d’argent. Personne ne semblait avoir d’argent. Notre société pourrait paraître pauvre à vos yeux, mais vous n’avez jamais vu la station d’où nous venons. »

« La plupart de mes souvenirs d’enfance s’emmêlent. Chaque jour ressemblait au suivant. Mais il en a un qui sort dans mon esprit comme un tournant – la raison pour laquelle j’ai choisi d’être chef de file. La raison d’être de ces bâtiments. »

« Il y avait cette barrière, enfin ce mur. Elle était faite de lattes de métal rouillé et bloquait l’accès à un logement délabré et toxique. L’odeur chimique était insoutenable, l’endroit avait été utilisé pour cuisiner du SLAM. Un gamin avait trouvé une bombe de peinture aérosol à moitié vide et en avait profité pour couvrir la chose de vulgarités. Le mur se tint comme ça pendant des années, horreur écœurante au beau milieu de notre station spatiale délabrée. Jusqu’à ce que certaines personnes se cotisent pour acheter quelques litres de peinture auprès d’un voyageur de commerce. En tant que communauté avons nous blanchi ce mur. Nous l’avons fait briller. »

« Ce mur nous laissa penser que les choses pourraient s’arranger. Un faux mur pourri que nous avions rendu beau. Ici, le principe est le même. »

Jones s’adossa à son siège. « Je suis au service du public, Mlle Yadav, essayant d’améliorer le moral d’un peuple famélique. Si je dois faire un peu d’escamotage, un peu d’illusion, pour leur faire croire que notre sort s’améliore, je le ferai sans hésiter. »

Génial ! Encore un politicien avec une histoire à pleurer, charriant son devoir civique comme une croix romaine, pensa Yadav. « Quelles relations entretenez-vous avec les pirates ? »

La femme gouverneur resta silencieuse une fraction de seconde. « Ténues. »

« Comment protégez-vous vos gens ? Protégez-vous votre peuple ? »

« Notre canon fonctionnait assez bien, n’est-ce pas ? »

« Mais quoi d’autre ? »

« Vous n’avez aucune raison de faire perdre son temps au gouverneur, » protesta Martinez. « Elle n’a pas à vous prouver quoi que ce soit. Nous sommes là pour vous interroger, et non l’inverse. »
Jones leva une main en signe d’apaisement.

« Au lieu d’un interrogatoire, que diriez-vous d’une interview officielle ? » Demanda Yadav. « Dans les rues, parmi les gens. » Peut-être arriverait-elle à inspecter ces bidonvilles après tout.

Un sourire subtil joua sur les lèvres de Jones, comme si elle avait attendu cette occasion. « Si je vous montre notre colonie, ferez-vous un reportage sur elle ? Aurons-nous droit aux gros titres ? »

« Si quelque chose de digne d’intérêt se passe sur cette planète, j’écrirai à ce sujet, » répondit sournoisement Yadav.

« Ce n’est pas une bonne idée, » déclara Martinez.

« Amène-moi quelqu’un qui puisse ôter ses liens, » décida Jones, ignorant sa préoccupation. « J’emmène notre nouvelle amie pour une promenade. »

Martinez se pencha à l’oreille de Jones, posant une main ferme sur son épaule. Yadav remarqua les doigts tendus contre sa veste. « Nous allons le regretter, » dit-il sombrement. « Tu aurais dû accepter ma première suggestion. »

« Merci pour ta sollicitude, » déclara Jones sans émotion. « Mais compte tenu des circonstances, je serai ma propre conseillère. » Elle lui lança un regard lourd de sens.

« Très bien, » dit-il, se déplaçant vers la porte. « Mais la préoccupation numéro un d’un gouvernement doit toujours être de protéger sa population. Ne laisse pas cette journaliste te faire penser différemment. Les opérations de relations publiques n’ont aucun sens si au final les gens n’ont rien à récolter. »

Yadav voulait lui assurer que son interférence avec leur réputation était bien la dernière chose dont il avait à se soucier, mais garder le silence quand c’était nécessaire était tout aussi important que sortir les bonnes questions au moment opportun.

« Merci, » dit encore Jones. « S’il te plaît, fais-moi venir une escorte, quelque chose pour libérer ses mains – »

« Et changer de vêtements ? » suggéra Yadav. Une robe d’hôpital passait difficilement pour une tenue de ville appropriée.

« Et le costume de rechange de mon bureau », ajouta Jones.

Martinez ouvrit la bouche pour protester de nouveau, mais Jones le prit de court. « Fais-le. »

Il hocha la tête, soudainement serviable. Puis il permit à son regard de rencontrer celui de Yadav pour une fraction de seconde avant de quitter la pièce.

Yadav se sentait comme si elle venait de s’asseoir sur une fourmilière, attendant la première d’un millier de piqûres.

À suivre…

Traduction : Starcitizen.fr par Kotrin, relecture par Hotaru.

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