Dateline : Sesen – épisode 7

Gouverneur Tentopet Jones : Gardienne de la Vérité, de la Justice et des Systèmes Extérieurs, ou Nouvel Exemple d’un Serviteur Public Corrompu ?

Un long moment s’écoula avant que Martinez ne revienne avec une tripotée de gardes et le pantalon de rechange. Une fois sa livraison effectuée il repartit sans décocher un mot à Jones.

Yadav fut libérée puis laissée seule pour se changer. Le costume de couleur aubergine était trop serré et trop long, mais il ferait l’affaire. C’était bon de se sentir à nouveau vêtue comme une professionnelle. Cette robe d’hôpital l’avait laissée exposée, vulnérable, d’une façon dont elle ne pouvait se rendre compte pleinement qu’une fois habillée correctement.

Le groupe d’interview totalisait sept personnes ; Yadav, Jones et cinq gardes du corps. Ils se répartirent entre le Connie de Jones et un second transport, puis s’envolèrent vers le pied de la colline. Là ils abandonnèrent la protection des vaisseaux et entamèrent une promenade tranquille à travers les rues couvertes de poussière.

De façon surprenante, Jones prit le bras de Yadav dans le sien. Elles marchaient comme deux vieilles camarades de classe, tandis que les gardes les suivaient à distance comme une meute de chiens errants.

De par le passé Yadav avait parfois dû assaillir son interlocuteur de questions pour qu’il se livre enfin. Pas pour Jones. Elle avait clairement une histoire à raconter et avait attendu quelqu’un avec qui la partager.

Mais elle ne commença pas tout de suite. Un silence confortable s’installa entre elles alors que Jones la conduisait sur une une artère principale – la seule rue goudronnée. La lumière du soleil frappait l’asphalte desséché, provoquant assez de chaleur pour piquer la peau de Yadav sans qu’elle se mette pour autant à dégouliner de sueur.

Les gens ne s’effrayaient pas à l’approche du groupe du Gouverneur. Personne ne cracha à leur vue. Mais personne non plus ne s’effondra en larmes dans un pseudo-culte du sauveur comme l’exigeaient tant de dictateurs. Ils étaient chaleureux, polis.

De jeunes mères tenaient leurs nourrissons dans des porte-bébés ou pressaient des bambins contre leurs hanches tandis qu’elles négociaient du pain et des pâtisseries. Plusieurs hommes et femmes âgées travaillaient main dans la main pour réparer un mur de torchis proche de l’effondrement. Des enfants sales décochaient des coups de pied à un ballon dégonflé, les plus âgés s’apostrophant avec l’aplomb d’athlètes professionnels.

« Ces sourires, » dit Jones en montrant deux fillettes faisant une pyramide de cailloux, « ont été durement acquis. Seuls ceux de moins de vingt ans sont originaires de cette planète, Sesen, comme nous l’avons baptisée. Cela signifie ‘Fleur de Lotus’, un symbole de renaissance. La plupart d’entre nous sont les colons originels, des personnes déplacées. Depuis la première vague, pas un seul nouveau venu. Si vous étiez arrivée il y a quinze ans vous auriez vu pourquoi. Nous ne sommes pas une colonie typique. »

L’attention de Yadav divergeait. Alors que Jones parlait, ses oreilles (et son enregistreur) écoutaient attentivement. Mais ses yeux étaient fixés sur leur environnement, prenant des instantanés mentaux. Il n’y avait pas de chien, pas de chat, pas de poule en liberté. Aucun des animaux qu’elle venait à associer à une zone frappée par la pauvreté. Elle se rendit compte qu’elle n’avait pas vu un seul oiseau ni un seul rat depuis qu’elle avait rampé hors de son appareil abattu. Un lézard solitaire, bondissant d’une ombre de bâtiment à une autre, fut une nouveauté – le rare signe d’une vie non-humaine. La colonie n’avait même pas assez de déchets pour soutenir autre chose que ses habitants. « Ce n’est pas de la bonne terre, c’est ça ? » Demanda t-elle. « Impropre à la colonisation selon l’UEE ? »

« Oui. Mais les résultats officiels de terraformation ne signifient pas grand-chose. Personne ne peut tout simplement abandonner une planète après tant d’efforts. Les promoteurs ne peuvent pas hausser les épaules et s’en aller. Même si elle était sans valeur, ils ont trouvé un moyen d’en tirer profit. »

« Des passeurs vinrent à la station ou j’habitais. Ils nous rassemblèrent tous, et nous parlèrent de cette nouvelle frontière grandiose. Ils convainquirent mes parents qu’elle était aussi riche que le delta du Nil de l’Antiquité – je pense que l’un d’entre eux reconnut mon prénom. Tentopet était une reine égyptienne. Ma mère était obsédée par l’histoire des anciens, leurs habitudes, leur nourriture, leurs vêtements. Le regard de ma mère s’illumina à l’écoute des histoires que lui racontèrent les passeurs. »

« Wei est le fils du frère de ma mère. Ses parents et les miens dépensèrent les économies d’une vie auprès des passeurs, afin que nous puissions recommencer à zéro dans ce glorieux paradis. » Le sarcasme pointait sur le bout de sa langue, mais il était dépourvu de véritable mépris. « Une fois notre fortune faite nous devions revenir les chercher. »

Yadav continuait subtilement à scruter chaque personne à portée de vue et une étrange tendance émergea. Il n’y avait ni homme ni femme valides et seuls en vue. Tous les adultes en âge procréer étaient accompagnés de petits enfants. Yadav n’avait pas vu le moindre célibataire entre quinze et cinquante ans hormis l’escouade du gouverneur.

Où étaient tous les adultes ? On ne les voyait pas passer la tête par les devantures des magasins, repriser des vêtements ou bâtir des constructions – ils étaient tout simplement absents. Ils n’étaient sûrement pas tous réquisitionnés sur la colline du gouverneur.

Elle s’en fit mentalement la note, mais garda l’observation pour elle-même.

Un vieil homme offrit à Jones un morceau de pain qu’il avait rompu pour ses petits-enfants. Elle accepta en s’inclinant légèrement.

« À quoi ça ressemble de vivre ici ? » demanda Yadav à l’homme, « comparé à là d’où vous venez ? »

« Plus chaud », répondit-il. Il avait la voix rocailleuse de quelqu’un qui avait abusé de ses poumons dans sa jeunesse, et elle charriait désormais les tremblements de la vieillesse. « Le climat est assez doux. Ça ne pousse pas beaucoup, hélas. Même maintenant que nous n’avons plus à payer la taxe. »

Yadav lança un regard de côté à Jones. « Quelle taxe ? »

« La taxe des promoteurs. Les passeurs nous lâchèrent là, et les promoteurs estimèrent que leur part était trop faible. Se présentant comme possédant la terre – fertile ou non – ils nous taxèrent en nature. Le meilleur de ce que nous parvenions à faire pousser leur était destiné. »

« Vous étiez affamé en travaillant la terre, ou vous mouriez de faim et vous finissiez enseveli dessous » déclara le grand-père. « Ils s’en fichaient. Mais ils ne viennent plus dans les parages, donc nous pouvons tout garder désormais. Malgré tout, le sol est pauvre et l’eau n’est pas bonne. Les océans et les lacs charrient tant de bactéries toxiques qu’on n’arrive pas à les filtrer assez. L’eau de pluie ne forme presque jamais de flaques. Elle s’infiltre droit dans la terre, hors de portée. »

Yadav appuya le bout de sa semelle contre une fissure au bord de l’asphalte. La saleté tomba en morceau, les fragments s’affinant en poussière. Aucun petit brin d’herbe ni structure végétale pour les faire tenir ensemble. « Qu’est-il arrivé aux promoteurs ? »

« Demandez à cette jeune femme, », dit-il en pointant son doigt vers Jones. « Elle et son équipage nous ont soulevés contre eux. Nous les avons chassés pour de bon. » Il rit légèrement à l’évocation de ce souvenir, révélant ses dents cassées.

« Son équipage ? »

« Wei, moi-même et quelques autres de notre station d’origine. Nous avons volé certains de leurs vaisseaux – »

« Et leur avons filé une assez bonne trempe pour qu’ils ne pointent jamais leur nez à nouveau autour de Sesen, » conclut l’homme en se claquant le genou.

Jones sourit. « Ensuite, nous avons établi les fondations d’un début de gouvernement et commencé à essayer de faire de cet endroit notre foyer, pour de vrai. Je ne devais diriger qu’à titre temporaire. Mais je suis toujours là, plus d’une décennie plus tard. J’ai proposé de démissionner – »

Bien sûr, pensa cyniquement Yadav.

« Mais nous n’accepterons pas sa démission », confirma le vieil homme.

« Ainsi, lorsque vous vous présentez comme le ‘Gouverneur Jones’ … ? »

« Ce n’est pas autorisé, non reconnu. Aucun d’entre nous n’est Citoyen. Comment pourrions-nous l’être ? Je pense que l’UEE ne sait même pas que nous existons. »

Yadav remercia l’homme d’avoir répondu à ses questions, puis Jones et elle passèrent leur chemin.

Une rafale de vent fouetta le visage de Yadav. Elle charriait le parfum de torréfaction des grains, la pourriture du compost et le métal brûlé. « Avez-vous honoré votre promesse, en fin de compte ? » demanda-t-elle après une longue pause dans la conversation.

Jones eut l’air confuse. « À quelle promesse faites-vous allusion ? »

« Amener vos parents ici quand vous aurez fait fortune. Ils doivent avoir un âge avancé. »

« Ils ne sont pas encore là. Nous ne sommes pas prêts. Mais nous y travaillons. Une prospérité nouvelle viendra à notre peuple. Nous ferons plus que gratter la terre pour notre subsistance. Nous allons prospérer. Et alors Wei et moi-même reviendrons à notre station d’origine et nous recueillerons tout le monde. Pas seulement nos parents. Cousins, cousines, neveux, nièces. Tous ceux que nous pourrons. »

« Tout ça paraît bien joli, » concéda Yadav. « Mais d’où jaillit cette ‘nouvelle prospérité’ ? Vos ressources ne semblent pas suffisantes pour un commerce interstell- »

Une série de bruits secs retentit brusquement. Des jets de poussière jaillirent du sol aux pieds de Yadav et elle se jeta instinctivement en arrière.

Elle ne reconnaissait que trop bien des coups de feu.

À suivre…

Traduction : starcitizen.fr par Kotrin, relecture par Baron_Noir.

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